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Méthode #4 : L’humilité épistémique, la clef pour convaincre éthiquement

Dans un vlog lumineux, Un Monde Riant fait le constat que le travail des sceptiques échoue à convaincre, et met en cause notre incapacité à sortir du martelage de « faits scientifiques » pour vraiment comprendre les arguments des personnes avec lesquelles on n’est pas d’accord et pour vraiment répondre à leurs préoccupations. Il termine sa vidéo en disant « je ne sais pas encore comment faire ». Je pense que cet article est à lire si vous partagez son constat et son amertume.
En effet, cette question de convaincre ou non, pour moi elle est liée à nos postures. Or, Il se trouve que mon taf IRL, c’est entre autres d’enseigner comment faire ça, comment communiquer des connaissances scientifiques pour permettre des meilleurs choix de société et des comportements plus sécuritaires (il se trouve que la recherche africaine a une expérience bien plus poussée de la chose, c’est dans ce contexte que j’ai été formée, et ça a vraiment chahuté ma manière d’aborder mon rapport aux sciences), alors je vais tenter de partager un peu mon expérience du sujet.
Bonne lecture

Comment convaincre? Chacun sa méthode? Certains vont en rentre-dedans frontal, d’autres utilisent ce qu’ils appellent « entretient épistémique ». Ces deux méthodes ne me satisfont pas, car elles partent du principe qu’on sait, et que l’autre ignore. Au delà du problème éthique que cela pose, pour convaincre, il va falloir commencer par prendre les arguments du camp d’en face au sérieux. C’est ça qu’on appelle « humilité épistémique ». Il n’y a que cette étape qui permette d’intégrer les arguments dudit « camp » à sa compréhension du sujet, et donc d’y répondre adéquatement.

Comment faire ça, alors? Déjà, quand je dis « intégrer les arguments à ma compréhension du sujet », sachez qu’il ne s’agit pas de faire un « juste milieu » barbare des idées, vraiment pas. Je vais essayer de l’illustrer par un exemple tiré de mon expérience d’enseignement de la transdisciplinarité (je parcours depuis une dizaine d’année des universités et centres de recherche pour organiser et co-dispenser cette formation avec des collègues de disciplines diverses, auprès de chercheurs de disciplines très diverses).

Cas pratique : qu’est ce qui cause le paludisme ?

Bon, ces dernières années, ma thématique de recherche principale, c’est la transmission du paludisme, en lien avec l’évolution des moustiques. Du coup, dans mes cours sur la transdisciplinarité, j’ai tendance à reprendre un exemple qui m’a marqué, quand j’ai commencé à apprendre ce que c’était que la transdisciplinarité, et que j’étais moi-même formée par mes collègues sociologues ivoiriens et camerounais ayant été formés par encore d’autres gens (que serions nous sans les autres, hein).

Prenez 3 secondes, et posez-vous la question : qu’est ce qui cause le palu ?

Ok. La première réponse qui vous vient probablement, c’est « moustique ». D’autres auront pensé « Plasmodium », peut-être. C’est ce qui me vient en premier aussi. J’ai posé la question à un homme médecin blanc français 2020 (c’est la liste des qualificatifs qu’il s’est auto donnés), il a répondu :
– moustique anophèle (piqûre + parasite protozoaire plasmodium)
– zone endémique (voyage à l’étranger)
– moustiquaire (absence)
– répulsifs et insecticides (absence)
– antipaludéen préventif (absence)
– drépanocytose (absence)
– HbS (absence)
– Et bien d’autres…

Donc, quand j’ai été formé à la transdisciplinarité, j’ai appris d’un sociologue que pour de nombreux ivoiriens, une des premières réponses qui est donnée c’est « le soleil ». Intriguée, j’ai posé la question à la nounou de ma fille, sénégalaise, j’ai dis « on m’a dit que beaucoup d’ivoiriens pense que le soleil cause le palu », elle me répond « oui, ici aussi on pense ça ! ». Bon. Comment on va convaincre des personnes d’utiliser des moustiquaires si elles pensent que la cause du palu, c’est le soleil ? Dites-moi : comment ?

Moustiquaire imprégnée distribuée par les programmes de lutte anti-palu et utilisée pour protéger les cultures des insectes ravageurs, parce qu’on a très bien compris que c’était efficace pour les repousser.

En tant que scientifique blanc, on a déjà une explication au palu, ça va bien quoi, pas besoin du soleil. On a envie de clore la question : ces gens ont une croyance, le soleil ne cause pas le palu enfin, ils ont tort. On va leur dire qu’ils ont tort. Le palu, c’est le moustique, point barre. Ça, c’est ce que font beaucoup, beaucoup de gens dans les milieux, disons,rationalistes: on identifie des croyances, on ne cherche pas à comprendre, on « sait », c’est faux. On boucle l’affaire.

Mais ce que m’a appris la transdisciplinarité, c’est de prendre les hypothèses de ce genre au sérieux. Avais-je consulté la littérature, pour savoir s’il y a un effet du soleil sur le palu ? Que nenni. Alors je vais voir la littérature. Et je trouve quoi ? Rien du tout. Aucune étude. Nada. Personne n’a regardé.

Du coup, je commence à utiliser cet exemple dans mon cours, en parlant aussi, au passage, de la nécessité de diversifier les profils des chercheurs, et la nécessité aussi, que les décisions clefs, soient prises par une diversité de chercheurs. Un chercheur blanc qui vit en Europe ne prendra jamais une telle hypothèse au sérieux. Il n’écrira pas un projet pour l’investiguer. Il ne financera pas un projet pour la tester. Mais un-e chercheur-euse qui a grandit là, qui, enfant, a « appris » que le soleil, ça cause le palu… qui, par un « biais de confirmation » (Qui a tellement peu la côte, et pourtant, sérieux, quel chercheur explorerait une hypothèse sans y avoir cru au départ pour des mauvaises raison ? Ca n’existe pas, en fait), aura observé un palu après que untel ait passé la journée au champ. Cette personne, il lui faudra des données, parce qu’elle lui donne une chance, elle, à cette hypothèse. Alors elle va chercher.

Dans chacun de mes cours, j’ai parlé de cet exemple, et j’ai entendu des (pas tous, mais des) chercheurs exprimer (avec gêne, et c’est bien dommage), qu’ils y croient un peu quand même. Et j’ai demandé : comment pourrait-on expliquer cette idée que le soleil, il cause le palu. Et comme je l’ai posée à plein de spécialistes différents, j’ai eu plein de réponses. Les médecins : peut-être que la personne a un palu asymptomatique, et quand elle bosse au champ et s’épuise, son immunité craque, et ça déclenche une crise. Les parasitologues : peut être que le parasite est sensible à la température, et que lorsqu’il fait chaud, l’infection de l’humain/ du moustique, est plus probable. Les écologues : peut-être que lorsqu’il fait chaud, ça correspond à la saison des pluies, et du coup il y a plus de moustiques, et plus de chances d’avoir le palu. Les linguistes : mais enfin, paludisme… dans la langue locale, ça veut dire fièvre en fait. Ah ok, en fait, dans ce « palu » il y a le palu des scientifiques, mais aussi… l’insolation.

C’est ça, prendre une idée au sérieux. C’est chercher toutes les manières dont la conception de la personne en face peut différer de la nôtre… parce que sa réalité immédiate lui donne accès à cette description-là du monde. Et cette description n’est pas fausse. Elle n’est pas encore cohérente avec notre description et interprétation du monde. Mais elle n’est pas fausse.

Imaginons que j’aille voir la personne qui a cette idée que le soleil cause le palu, et pour qui palu, dans sa langue, veut dire fièvre. Je lui dis : « Ok, alors on n’a pas la même définition. Ce que toi tu appelles palu, c’est ci. Ce que moi j’appelle palu, c’est ça ». Notez : on n’impose pas sa définition en mode t’as tort j’ai raison, par contre, hein, on s’en fout du sens des dicos, ce qui compte ce sont les usages, et l’usage de cette personne est valide, il lui permet de se comprendre dans sa communauté. Donc, on pose juste le fait qu’il y a plusieurs définitions, palu1 la sienne, palu2 celle du scientifique, et qu’elles ne se recouvrent pas totalement, ou que palu2 est un des morceaux de palu1, et que, de ce qu’on sait de palu2, il n’y a pas d’effet du soleil dessus. Vous croyez que la personne va dire quoi ? Elle va dire : « Aaah ok. Ben c’est ton palu, c’est toi qui sait. Ca marche, je vais ptet utiliser la moustiquaire alors ». Voilà, j’ai fait sens, ma description du monde est devenue compatible avec la description du monde de la personne en face.

A noter, en sciences, on dit souvent « avant de chercher à expliquer un phénomène, il faut prouver qu’il y en a un ». Là, j’aurais pu faire une étude épidémio, je ne sais pas, suivre une cohorte de gens qui bossent au soleil, et une autre de gens qui ne bossent pas au soleil, et à la fin, je regarde s’il y a un effet ou pas. Mais ce test, il ne permet de tester qu’une seule des explications ci-dessus (celle du médecin). Il loupe toutes les autres explorations. Donc non, il faut d’abord chercher les explications théoriques, et les protocoles qui vont permettre de les tester, ils découlent nécessairement des explications qu’on va lister.

Peut-être que plusieurs des hypothèses précédentes sont simultanément vraies. Mais on va devoir les explorer une par une, parce que si on vient dire à la personne « tu as tort, le soleil ne cause pas le palu » alors que ça contredit directement son expérience et qu’on a exploré aucune hypothèse pour tenter d’intégrer cette expérience à une nouvelle interprétation du monde qui fasse sens… on va juste échouer à la convaincre. Et on va échouer, surtout, à la convaincre d’utiliser la moustiquaire. Parce que sérieux, c’est chiant, les moustiquaires, alors il faut au minimum quelqu’un qui prend au sérieux mes observations directes du monde et me donne une explication qui intègre cette observation que j’ai faite, pour me convaincre de faire avec.

En attendant les données, vu que personne n’a encore cherché… on peut au moins présenter ces différentes hypothèses, et si ça se trouve, ça suffira pour que la personne voit qu’on n’est pas si hors-sol qu’on en a l’air, et donc, un peu dignes de confiance. Peut être que simplement avec ces hypothèses, on pourra commencer à convaincre.

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Méthodes

Méthodes #3 Communication éthique et efficace

Qu’est-ce que la communication, et pourquoi est-ce important de s’y former quand on est chercheur ou communiquant scientifique ? Faire de la recherche c’est bien, mais si les résultats que l’on obtient restent dans les tiroirs, on a gaspillé du temps et de l’argent. Inversement, si les connaissances que l’on diffuse sont mal comprises ou utilisées à mauvais escient, on porte une certaine responsabilité. Lors de l’épidémie d’Ebola, un message qui a beaucoup circulé était qu’il n’existait pas de traitement à la maladie. En réalité, il n’existait pas de traitement spécifique, mais de nombreux soins devaient être prodigués qui amélioraient les chances de survie du malade (hydratation, etc.). Cette communication désastreuse a conduit des malades à ne pas consulter (les médecins étaient supposés ne rien pouvoir faire pour eux, de toutes manières !).

On peut avoir différentes motivations à communiquer : augmenter la connaissance, ou viser à ce que ces connaissances changent la manière d’appréhender un problème. Cependant, la communication va prendre différentes formes selon les objectifs que l’on a, et c’est ce qu’on va essayer de voir dans ici : comment optimiser sa communication pour répondre aux objectifs de diffusion de l’information que l’on se donne.

Pour commencer, cela peut paraitre trivial, mais la communication c’est un processus qui implique les différents éléments suivants : émetteur, message, canal de diffusion, récepteur. Nous allons décortiquer comment il est nécessaire de penser chaque élément relativement à son objectif de communication, si l’on souhaite mieux communiquer.

emeteur receveur

1 – L’émetteur

Vous êtes l’émetteur du message. En tant qu’émetteur, pour des raisons éthiques, il faut que vous soyez conscient de vos motivations à diffuser un message : vos motivations sont-elles uniquement de diffuser des faits pour permettre à chacun de se forger un avis éclairé ? Ou bien sont-elles intéressées ?

Il est communément admis qu’il est plus éthique de déclarer un conflit d’intérêt lorsque l’on communique, mais par conflit d’intérêt, on entend généralement des intérêts économiques ou des relations avec des entreprises, des organisations ayant elles-mêmes des intérêts économiques, des partis politiques. Cependant, la première motivation que l’on a à communiquer est toujours intéressée : vous êtes d’abord motivé pour transmettre votre propre vision du monde.

Ainsi, lorsqu’on l’on pense avoir pour seule motivation d’aider autrui à se forger un avis plus éclairé, l’implicite est que l’on pense que l’avis que l’on a soi-même EST le plus éclairé disponible. C’est son propre avis qui sert de référence.

2 – Le message

L’objectif de votre message est d’avoir un impact. De changer quelque chose chez le récepteur. Peut-être est-ce de simplement changer sa compréhension de quelque chose. Peut-être est-ce le convaincre qu’un choix est meilleur qu’un autre, pour influencer ses décisions. Pour une communication efficace, vous devez avoir une idée claire du message que vous cherchez à transmettre. Et pour identifier clairement le message que vous cherchez à transmettre, vous devez réfléchir à l’impact que vous voulez avoir sur le récepteur.

En effet, il faut se représenter votre message un peu comme un « poids », dans une balance. L’impact que vous cherchez à obtenir, c’est faire pencher la balance d’une certaine manière. Parfois, on cherche à convaincre que c’est un choix de compromis qui est le meilleur, et pour cela il faudra insister plus sur des messages qui font pencher la balance dans un sens que dans l’autre. Illustrons cela avec la question suivante : faut-il utiliser des pièges à moustique pour lutter contre le paludisme ?

Imaginons que dans le débat public, l’avis soit plutôt en faveur des pièges, car deux arguments circulent : ils permettent de capturer 10% des moustiques et participent à réduire la transmission.

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Dans le débat public, d’autres arguments seront également ignorés ou délaissés. Vous, vous avez effectué un travail de recherche, et vous avez trouvé un nouvel argument : les pièges peuvent être utilisés dans des lieux où les moustiquaires de lit ne peuvent l’être facilement, pour des raisons d’hygiène, par exemple dans des hôpitaux ou dispensaires. Si vous diffusez votre message sans réfléchir à l’impact que vous souhaitez avoir, alors l’impact découlera du message comme suit : vous allez convaincre les autorités de sponsoriser les pièges et leur développement, cela ira en faveur de leur développement et la promotion de leur utilisation, y compris, possiblement, dans les maisons. L’impact découlera du message, et non l’inverse.

En tant que chercheur ou communicant scientifique, vous avez une responsabilité. Comme dit ci-avant, vous devez d’abord réfléchir à l’impact que vous souhaitez avoir. Normalement, dans le cas présent, l’impact recherché est d’améliorer la santé publique et réduire la transmission le plus efficacement possible (et non promouvoir, par exemple, un outil que vous avez breveté). Or, on a parlé des arguments qui peuvent être négligés dans le débat. Par exemple, prenons les contres arguments suivant : 1- les pièges sont très chers, et l’argent mis dans les pièges est de l’argent en moins dans d’autres outils de luttes peut être plus efficaces, et 2- des travaux sociologiques ont montré que lorsque les gens utilisent des pièges, ils surestiment l’effet protecteur et négligent d’utiliser des moustiquaires. Lorsqu’on prend en compte ces deux arguments, on se rend compte qu’au final, promouvoir les pièges pourrait avoir un effet négatif. Et lorsqu’on ajoute le nouvel argument sur l’hygiène, la balance peut changer d’équilibre, sans nécessairement switcher vers le côté « pour ». Ainsi, bien que votre argument sur l’hygiène soit valide et valable en soi, le diffuser sans réfléchir à l’impact final que vous voulez réellement atteindre pourrait avoir un effet négatif.

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Pour avoir le « bon » impact, il va donc falloir redéfinir les contours du message à diffuser. Il ne s’agira plus de seulement dire que les pièges, c’est « bien » car ça permet de réduire la transmission et qu’en plus ça peut être utilisé dans les endroits où les conditions d’hygiène ne permettent pas d’utiliser les moustiquaires, mais il sera nécessaire de faire la liste de tous les arguments en faveur et en défaveur des pièges, d’insister sur ceux qui sont négligés, et de faire des recommandations conditionnelles ou plus mesurées, du type « les pièges pourraient être utiles dans les endroits où l’utilisation des moustiquaires n’est pas possible, cependant, il est important de rester vigilants à ce que leur promotion en dehors de cette sphère ne conduise pas à des effets délétères tels qu’une baisse de l’utilisation des autres outils de lutte ».

A noter, au passage : on voit ici que ce n’est pas parce qu’une communication est factuelle qu’elle n’est pas orientée. Une communication peut être tout à fait factuelle (les arguments présentés sont valides et justes), et, pourtant, par un « biais de cadrage » (seulement une partie des arguments est présentée), avoir un impact qui sert les intérêts d’une personne ou d’une organisation, plutôt que le bien commun. C’est une technique de manipulation fréquemment utilisée dans les débats publics et politiques, notamment par les lobbys, et il importe d’en avoir conscience pour faire preuve d’un meilleur esprit critique.

3 – Le canal de diffusion

Afin que votre message ait l’impact voulu, il convient de bien choisir son canal de diffusion. Il y a plusieurs aspects à prendre en compte, et qui peuvent nécessiter un compromis : le canal choisi est-il propice pour que mon audience entende le message ? Le canal choisi transmet-il mon message efficacement ?

Imaginons que je suis sur une place publique où il y a des passants, et je ne dispose que de quelques secondes d’attention de la part de mes récepteurs. Si je choisi de transmettre mon message en utilisant une illustration légendée sur un panneau, comme l’image ci-après.

Réutilisation de la MILDA-1
La moustiquaire imprégnée, normalement distribuée pour protéger les dormeurs dans les lits, est utilisée pour protéger les cultures des ravageurs.

Une telle image aura plus d’impact qu’une simple phrase audio « les moustiquaires imprégnée sont utilisées pour les cultures » dans un mégaphone. En effet, l’image permet de visualiser le message, ce que ne permet pas un message vocal.

Cependant. Si je cherche à communiquer des bonnes pratiques d’usage des moustiquaires, peut être que se positionner sur une place passante où je ne dispose que de quelques secondes n’est pas le plus efficace pour « atteindre » mon auditoire, et qu’il faille que je passe un message audio plus long par la radio. Je vais devoir faire un compromis et pour augmenter mes chances d’atteindre mes récepteurs, je vais choisir un canal qui est peut-être moins efficace d’un point de vue pédagogique et va m’obliger à un effort didactique plus important pour bien faire passer le message.

Par ailleurs, selon le canal utilisé, on peut ou non avoir un retour dans la communication, et lorsqu’on l’a ce retour permet d’ajuster le message que l’on dispense. De mieux le faire comprendre. La communication peut être uni ou bidirectionnelle.

Communication uni directionnelle Communication bi directionnelle
Radio, télévision Conférence avec séance de questions
Tract Discussion en tête à tête ou en petit groupe
Journaux, revues Etc.
Discours

Lorsqu’on choisit un canal de communication uni directionnel, il est d’autant plus important de bien préparer sa communication en amont, car il sera bien plus compliqué d’ajuster les incompréhensions par la suite.

Pour choisir correctement le canal, il faudra en fait identifier clairement le récepteur que l’on vise, comme nous allons le voir dans la section suivante.

4 – Le récepteur

Il est nécessaire d’identifier correctement le récepteur, et pas seulement pour le nommer, mais également pour comprendre :

  • La manière la plus efficace de l’atteindre.
  • Les éléments dont il dispose déjà à propos de mon argument ;
  • Les éléments dont il dispose déjà à propos du contexte général / du sujet.

4.1 – Identifier le meilleur moyen d’atteindre le récepteur

Reprenons la photo de la moustiquaire utilisée pour les cultures. Si je montre cette photo sur une place publique d’une capitale, je n’atteindrais que les personnes qui fréquentent cette place publique, et pas forcément les personnes exposées au paludisme. Il est nécessaire de choisir un canal de diffusion qui soit susceptible d’atteindre les récepteurs visés. Pour savoir quel canal est le plus propice, il faudra parfois s’adresser à des sociologues qui connaissent les habitudes des populations, et également prendre en compte les aspects de genre. Si je diffuse un message d’hygiène alimentaire à la radio, sera-t-il entendu des personnes qui font la cuisine ? Non, si par exemple les personnes qui font la cuisine sont majoritairement des femmes et que la radio est principalement écoutée par des hommes sur leurs temps de pause.

4.2 – Identifier les éléments dont le récepteur a besoin pour comprendre mon argument

En ce qui concerne le deuxième aspect, il s’agit de fournir un message pédagogique concernant l’argument lui-même. Il est probable que si ne fait que montrer la photo de la moustiquaire dans les cultures à une personne qui ne travaille pas dans la lutte contre le paludisme, elle ne saisisse rien du message que je cherche à faire passer (à savoir : les moustiquaires ne sont pas utilisées pour ce qui était prévu). Pire, un public non avertit pourra comprendre un message totalement de travers, comme on l’a vu avec l’exemple concernant Ebola (pour lequel « il n’y avait pas de traitement »).

Revenons à nouveau à la photo de moustiquaire. Cette photo « parlera » à mes pairs, à un public un minimum instruit sur les plans de lutte contre le paludisme. Ils mobilisent leurs connaissances préalables en épidémiologie et en paludologie, pour décrytper le message porté par la photo. Un public non avertit ne saisira pas forcément le message, ou pas sans explications supplémentaires. Inversement, si je communique pour mes pairs en reprenant toutes les bases de la santé publique et de la lutte contre le paludisme, ils vont trouver mon message inutilement chargé et ennuyeux, et j’échouerai tout autant à le faire passer. Il faut trouver le bon équilibre : qu’est-ce que mon audience sait déjà ? De quoi mon audience a-t-elle besoin pour comprendre mon argument ? Il faut juste remplir les trous, ne pas dire ce qui est déjà évident pour mon récepteur, ou passer par des détours inutiles à la compréhension, ou le récepteur sera ennuyé et perdu.

4.3 – Identifier les éléments dont le récepteur à besoin pour comprendre le contexte

Pour rappel, l’objectif qu’on se donne lorsque l’on communique n’est pas seulement de faire passer un message, mais aussi d’optimiser l’impact de ce message. Pour simplifier, nous avons utilisé la balance et traité de l’impact et du message, en amont, comme si tout le monde avait une connaissance préalable identique, et comme si certains arguments étaient connus de tous et d’autres étaient ignorés de tous. Ce n’est pas la réalité. En réalité, chaque individu à dans sa tête sa propre « balance ». Et si vous voulez avoir l’impact escompté, vous devez élaborer votre message non pas en fonction de votre propre balance à vous (ce qui vous convaincrait, vous, de prendre les bonnes décisions), mais en fonction de la balance de votre récepteur. Ainsi, quand on dit qu’il faut identifier le récepteur, encore une fois, il ne s’agit pas de juste pouvoir le nommer. Il faut le connaitre. Il faut s’informer sur ses a priori, sur la manière dont il se représente les pours et les contres dans son esprit. Là encore, il faudra parfois faire appel aux sociologues.

Mais ce n’est pas tout. Les arguments ne sont pas seulement connus ou inconnus de manière différente pour les uns et les autres. Des arguments identiques ont aussi des poids différents. Reprenons l’exemple des pièges à moustiques. Imaginons un piège dont le cout est de 60 USD. Vous cherchez à défendre que les pièges sont « biens » même dans un foyer. Mais ce coût, peut être que ce n’est pas grand-chose pour une famille moyenne voir rien du tout dans une famille aisée. Mais pour une famille pauvre, c’est totalement prohibitif. Le coût est un argument qui pèse beaucoup plus lourd pour une famille pauvre.

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Ainsi, vous pouvez avoir listé l’ensemble des arguments qui vous convainquent vous, et que le récepteur considère chaque argument pris séparément comme valable, et pour autant, échouer à convaincre ce récepteur. C’est parce que certains des coûts et bénéfices que la personne attribue aux arguments diffèrent, d’une personne à l’autre. Et ce n’est pas parce que la personne à laquelle vous vous adressez serait irrationnelle (chose qu’on entend fréquemment de la part de ceux qui s’identifient comme sachants) : les personnes pauvres dans l’exemple ci-dessus auraient raison d’écarter le piège comme solution si le prix est prohibitif (ce n’est pas une solution pour eux s’ils n’en ont pas les moyens). D’autres parts, les peurs, les aspects émotionnels pourraient créer des blocages psychologiques, des résistances, et ce sont des paramètres à prendre en compte dans la balance, puisqu’ils impactent réellement l’efficacité d’une solution, ou les coûts et les bénéfices d’un choix (un coût psychologique reste un coût) : une bonne solution est une solution qui remporte l’adhésion, puisque c’est un prérequis pour qu’elle soit effectivement appliquée.

En outre, et sans doute paradoxalement, même si ces peurs, ces aspects émotionnels, s’expriment d’une manière qui est – ou semble – irrationnelle, ce n’est toujours pas une raison suffisante pour les écarter comme non-pertinentes ; ils sont souvent sous-tendues par des arguments bien meilleurs que votre public ressent mais n’a pas verbalisé et a du mal à se représenter lui-même. La balance que nous avons représentée est une simplification, et en réalité la liste et le poids des arguments pour chacun d’entre nous sont très loin d’être faciles à dessiner.

Peut-être par exemple que le récepteur ressent un malaise face à un outil technologique qu’il ne maitrise pas, ce qui est en soi un contre-argument valide (l’introduction de cet outil va générer une dépendance, une perte d’autonomie, une perte de contrôle sur son environnement immédiat), et qu’il va exprimer cette réticence non pas en mettant en avant ce contre-argument mais en surestimant le poids d’autres arguments – y compris, parfois, d’arguments invalides ou peu valides – qui font pencher la balance du côté qui serait celui de l’argument non-verbalisé.

Typiquement, pour le compteur Lynky, l’argument « contre » qu’on entend le plus, c’est qu’ils émettraient des ondes, auxquels les réticents ne veulent pas s’exposer. Le compteur fait peur. Mais cette peur est en réalité également nourrie par le fait que le compteur fournira de nombreuses informations sur la consommation des foyers, en mode big brother. L’angoisse générée est tout à fait susceptible de suffire à expliquer les évanouissements, maux de tête, nausées (qui sont d’ailleurs les symptômes typiques d’une crise d’angoisse !) attribués aux ondes.

Et nous pourrions boucler la boucle en revenant à l’émetteur. En tant qu’émetteur, vous ignorez possiblement également une partie des arguments qui vous convainquent ou vous rendent réticent vous-même, et la manière dont certains aspects que vous n’avez pas identifié explicitement pèsent sur votre conviction qu’un choix est meilleur, inconsciemment. Peut-être qu’une partie de ces arguments sont ancrés dans vos intérêts, ou dans votre propre appréciation subjective de ce qui importe. D’où la nécessité de l’affichage de ses conflits d’intérêt et d’une introspection minimale pour une communication plus éthique… et plus efficace.

5- Conclusion

Au final, la communication à une dimension éthique très importante. Avant de communiquer, vous devez prendre en compte que vous dispensez votre message dans un contexte. Vous devez réfléchir dans quelle mesure l’élément, l’argument que vous apportez, change la donne dans le contexte plus général. Est-ce que cet argument fait basculer la balance vers un choix différent ? Vous ne faites pas que dispenser un message. Ce message va changer la balance de votre récepteur, et avoir un impact. Par soucis de transparence, il est nécessaire de donner à l’audience le contexte et les autres éléments essentiels, notamment ceux qui sont généralement sous-considérés, afin qu’ils puissent eux-mêmes soupeser les arguments en prenant en compte tous les aspects, et non pas uniquement les nouveaux arguments que vous apportez (attention aux conflits d’intérêt : ne présenter qu’une partie des données d’un problème pour convaincre de quelque chose qui va dans un sens qui nous arrange, c’est de la manipulation). Ainsi, suivez bien les différentes étapes d’une communication éthique et efficace :

  • Identifiez et analysez votre audience ;
  • Définissez vos objectifs de communication (impact souhaité) ;
  • Décidez du message à transmettre à votre audience ;
  • Sélectionnez les canaux de diffusion à utiliser ;
  • Elaborez vos supports de communication ;
  • Eprouvez vos supports et votre communication auprès d’un public test, ajustez ;
  • Dispensez votre message.

 

Remerciements : cet article est au départ pas mal inspiré des cours de communication scientifique que je dispense avec mes collègues dans le projet qui m’emploie (en santé publique). Merci à Gaël et Arnauld pour leurs précieuses contributions (voir co-autorat…).