Société

Société #3 Inné et acquis, déterminismes et politique

Dans un contexte où les débats sur l’inné et l’acquis continuent d’occuper une place de choix en arrière-plan des débats sociétaux et politique, car ils sont sous-jacents a la question de savoir ce qui est de la responsabilité de l’individu (mérite et démérite) et de la société (donne t’elle les mêmes chances a tous?), et ce qui est ‘naturel’ ou ‘culturel’ (sous-entendu, souvent, ‘pur et bon’ versus ‘artefactuel et mauvais’), il me semble qu’une mise au point sur ce que la biologie dit de ces concepts d’inné et d’acquis, et surtout, sur ce que ça implique, est absolument nécessaire.

 

En particulier, les medias ne cessent de nous bombarder de gros titres: « Le cerveau des hommes est différent de celui des femmes », « La réussite scolaire dépend du QI », « On nait homosexuel ». Des titres qui donnent l’impression que les choses sont simples à comprendre. Et en particulier qu’il existe des effets biologiques, naturels et figés, et à l’opposé, des effets culturels et malléables. En réalité, c’est une vision dépassée. Certains l’ont déjà dit et d’autres l’ont redit, mais je vais essayer de compiler tout ça pour donner aux néophytes les outils et concepts de base dans ces débats importants, et pour permettre aux moins néophytes d’avoir une vue d’ensemble. Parce que même pour les moins néophytes, faut admettre que ce n’est pas ultra évident de jongler avec ces concepts, notre cerveau à tendance à faire des raccourcis, et on doit l’entrainer à ne plus les faire. Je scinde l’article en plusieurs « levels », ça va aller du plus évident au plus complexe. C’est long, vous avez le droit de faire des pauses pipi entre les levels.

 

Level 1. L’inné et l’acquis.

Déjà, inné, acquis, ce sont des vieux mots. On ne les utilise plus trop, mais c’est le level 1, alors on va quand même commencer par là. Qu’est-ce qu’on entend par inné? A priori, l’inné, c’est ce qui est déjà là à la naissance. Si je prends cette définition à la lettre, et que je dis « on nait homosexuel », par exemple, cela signifierait que le bébé qui vient de naitre est déjà hétéro ou homosexuel, donc. Là, vu que ça parait fort de café formulé comme ça, quand même, certains me diront « ah mais non, non, ça veut juste dire qu’il a déjà en lui tout ce qui va faire de lui un homosexuel ensuite ». Ce n’est plus pareil, déjà. L’inné n’est plus ce qu’on est à la naissance, mais ce qu’on va devenir du fait de nos « déterminismes biologiques ». L’acquis, généralement, c’est tout le reste, et notamment, les « déterminismes culturels ». A-t-on fait le tour de tout ce qui fait d’une personne ce qu’elle est ? Certains rajouteront à ces déterminismes le libre arbitre. Mais moi je suis matérialiste, et lorsqu’on pousse le matérialisme jusqu’au bout, on se rend compte que le libre arbitre, c’est comme le paranormal, ça ne peut pas exister (dès lors qu’on trouve des explications physiques et matérielles à ces phénomènes, ils cessent d’être des trucs un peu « magiques» pour n’être plus que les résultantes de causes et de conséquences matérielles). Bref, ici, je vais me limiter aux « déterminismes biologiques» et « culturels ».

 

Level 2. Les déterminismes biologiques.

Ok. Next level. Lorsqu’on parle de déterminismes biologiques, il y a plusieurs choses dedans. La première, c’est les déterminismes génétiques. Si je dis que la mutation du gène HNF-1-alfa entraine un diabète de type II, ce diabète a un déterminisme génétique, tout le monde est d’accord. Mais tous les déterminismes biologiques ne sont pas génétiques. Si je dis qu’une infection au virus zika pendant la grossesse entraine une microcéphalie chez l’enfant à naitre, le déterminisme pourrait être qualifié de biologique. Pour autant, ce déterminisme n’est aucunement « génétique ». Un déterminisme peut être « biologique » sans être génétique. Par contre, un déterminisme génétique sera toujours qualifié de biologique.

Cependant, attention, cette notion de déterminisme « biologique » est beaucoup plus floue qu’elle n’en a l’air. Si j’ai une alimentation très riche en sucres et en gras, et que je développe un diabète de type I, mon diabète est-il déterminé par la biologie ? A priori, autant que l’infection au virus zika. Pourtant, on ne dira certainement pas que ce diabète n’est pas également dû à mon comportement, ou à mes habitudes culturelles. Donc en fait, les déterminismes biologiques non génétiques sont des déterminismes… environnementaux. Si la préférence pour le bleu ou le rose est induite par une exposition élevée à ces couleurs dans l’enfance, est-ce que le déterminisme est biologique ? Là, beaucoup considéreront qu’il n’est plus qu’environnemental, « culturel». Alors même qu’on est exactement dans le même cas de figure que pour le diabète de type 1 : des habitudes culturelles ont eu un impact sur ce que je suis, en tant qu’être biologique. Dans le cas de la préférence de couleur, il ne s’agit peut-être que d’une micro modification neuronale qui fait que voilà, c’est telle couleur que je préfère. Mais c’est bel et bien équivalent à la modification induite par la consommation de sucre sur mon diabète.

Donc, à retenir du level 2 : ça n’a strictement aucun sens d’opposer déterminisme biologique et déterminisme culturel. Le « déterminisme biologique » ça ne veut rien dire, car ça recouvre à la fois des déterminismes génétiques, et des déterminismes culturels. Les deux choses qui s’excluent mutuellement, à la limite, c’est donc ces deux derniers.

 

A ce stade, relire le level 1. L’inné, ce n’est plus « les déterminismes biologiques » ou « génétiques» mais « les déterminismes de toutes natures intervenus avant la naissance et dont les effets pourront se déclarer à tout moment dans la vie ». Et l’acquis, donc c’est le reste. Bon. On est déjà loin de « l’inné, c’est les gènes» et « l’acquis, c’est la culture ». Attention parce qu’il y a plein de gens qui font allègrement ce mélange (alors qu’ils étaient d’accord avec l’argumentation du level 1 – il y a donc auto-contradiction). Si vous êtes confus, game over, retour au level 1.

 

Level 3. Déterminisme génétique.

Alors là, on va (re)partir de loin, pour s’assurer qu’on est tous sur la même longueur d’onde. On appelle gène une séquence de nucléotides (les fameux A, T, G, C là) qui forment l’ADN. Donc on a l’ADN, deux brins accolés en forme d’hélice, dont l’un est une séquence (ex : GATACA) et l’autre la même séquence en miroir (ici, CTATGT : en face de chaque G, un C, en face de chaque A, un T, et inversement). Les gènes sont « transcrits » en ARNs, des petits morceaux de séquences formées elles aussi de nucléotides (cette fois, A, U, G et C) mais qui à la différence de l’ADN, peuvent sortir du noyau et se balader dans la cellule. Ce sont des sortes de copies des gènes, quoi. Maintenant, certains de ces ARNs vont rester dans le noyau, et d’autres vont en sortir, et être « traduits » en protéines. Un peu comme quand on programme un modèle dans l’imprimante 3D, et que ça sort un objet. Bon, là, en gros, pour chaque groupe de 3 nucléotides, il y a un « acide aminé » (parmi les 22 possibles) qui se colle à la suite des autres. Quand c’est fini, ça fait un filament qui s’auto organise en une molécule en 3D en fonction de l’affinité des acides aminés entre eux. Ces « protéines », ce sont les principaux outils de nos cellules : des enzymes, des récepteurs, des protéines motrices qui transportent d’autres molécules, des régulateurs (certaines se fixent dans l’ADN et modulent ainsi la transcription, et donc l’ « expression » des gènes), des hormones. Leurs fonctions sont variées, donc. Ok, tout ceci est à l’intérieur des cellules. Nos neurones sont des cellules, nos « globules rouges» aussi, de même qu’un ovule ou un spermatozoïde, ou les trucs agglomérés qui forment notre peau. Chaque cellule est spécialisée, c’est-à-dire qu’elle exprime différents gènes à différents degrés, en fonction des fonctions qu’elle exécute. Le même type de cellule exprime également ces gènes de manière potentiellement variable d’un individu à un autre, en fonction de pas mal de facteurs, certains eux aussi génétiques (un gène est muté et l’outils fonctionne différemment, ou la zone de régulation du gène, qui est souvent une séquence d’ADN non transcrite juste à côté, est mutée, ou bien les gènes qui codent les protéines de régulation sont eux même mutés), d’autres environnementaux (par exemple, l’exposition à certaines molécules pourra augmenter ou diminuer l’expression d’un gène : boire de l’alcool, typiquement, augmente la production de CYP2E1 qui participe à sa métabolisation). J’aime bien parler de cascade de déterminisme en référence à ces gènes qui produisent des molécules qui régulent d’autres gènes qui eux-mêmes produisent des molécules qui régulent d’autres gènes, etc.

Du fait de cette cascade de déterminismes, une seule mutation peut avoir un impact énorme sur ce que va devenir un individu. Typiquement, une personne dont les chromosomes sont XY mais dont le récepteur à la testostérone est muté… est généralement une femme.

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Représentation ultra schématique d’une cascade de régulation, par exemple impliquée dans le déterminisme du « sexe » (je met entre guillemets : cf un précédent billet sur le sexe comme construction sociale). Noter que des gènes (comme le gène J) peuvent être régulés par plusieurs autres gènes, que des facteurs environnementaux peuvent aussi intervenir, et qu’il y a des rétrocontrôles, c’est-à-dire que l’expression d’un gène qui est en aval de la cascade peut avoir un effet sur l’expression d’un gène qui est en amont. Des variations à n’importe quel niveau de la cascade peuvent avoir des conséquences sur les traits, en aval. Enfin, un même trait est déterminé par de multiples gènes. Je n’ai pas représenté l’effet des facteurs environnementaux, soit moléculaires (effet de l’alcool), soit plus complexes (moins bien connus). J’ai noté « mutation », en vert, le fait qu’un gène soit rare dans une population, et produise une cascade de régulation un peu différente que ce qui est observé dans le reste de la population. En fait, nous sommes absolument tous porteurs de telles « mutations» ou « allèles rares » dans notre génome, qui font qu’on s’éloigne forcément dans une dimension ou une autre du reste de la population. Du coup, au lieu de se voir comme mâles et femelles, on ferait bien de se voir plutôt comme des mosaïques de traits plus ou moins « plus souvent mâles » ou « plus souvent femelles ».

S’il y a un truc à retenir du level 3, c’est que les traits biologiques ont toujours plusieurs causes. On a parlé du diabète, et des types I et II. En réalité, il y a 6 mutations différentes, sur des chromosomes différents, qui peuvent entrainer un diabète de type II. Chacune à des conséquences différentes, et notamment, certaines peuvent être traitées, d’autres pas. Mais en plus de cela, il y a des rétrocontrôles et des effets environnementaux (dont des effets épigénétiques) qui compliquent la donne.

Level 4. C’est à X% génétique.
Je pense que c’est de plus en plus clair au fur et à mesure qu’on avance dans les levels : ça n’a pas de sens de se demander si un « trait » est dû aux gènes OU à l’environnement. A peu près de la même manière que ça n’a pas de sens de se demander si la lumière est due à l’ampoule ou à l’électricité. La lumière est due à la fois à l’ampoule ET à l’électricité. Donc, tous les traits sont à la fois dus aux gènes ET à l’environnement. Maintenant, quand en biologie (en génétique quantitative plus précisément), on dit que tel truc est dû à tel % aux gènes et 1-X % à l’environnement, qu’est-ce qu’on veut dire du coup ? Parce qu’on les voit souvent, ces chiffres.Et bien si je reprends mon exemple de la lumière, on peut estimer dans quelles mesures les variations d’intensité observées (à un endroit t et à un temps t – ces variations représentent les « traits» biologiques) sont associées à des variations dans les types d’ampoule (ici les gènes, par exemple) et à des variations dans l’intensité du courant (l’environnement). Pour ceux qui ont déjà fait des statistiques, c’est une bête partition de variance. Si on ne trouve aucun lien statistique entre les variations observées entre les types d’ampoules (mesurées par exemple par les variations de taille d’ampoule) et les variations d’intensité, on dira que le type d’ampoule n’a aucun effet sur l’intensité lumineuse et que 100% des variations peuvent être imputées, du coup, aux variations d’intensité ou à d’autres facteurs (d’autres caractéristiques définissant les ampoules, par exemple leur puissance).

Ce qu’il est très important de garder en tête, ici, c’est que ce sont des résultats contextuels et non « absolus ». On pourrait tout à fait augmenter la part « environnementale », il suffirait pour ça d’augmenter la variance environnementale (pour mes histoires d’ampoule, d’augmenter les variations d’intensité du courant entre les ampoules). On peut avoir une variance environnementale très faible, ça ne voudrait en aucun cas dire qu’on n’a aucun levier environnemental possible pour changer ce qu’on observe (par exemple, on pourrait être dans une situation où la variance d’intensité du courant est nulle, et du coup il y a 0% des variations qui sont dues au courant (ici, environnementales). Or, il serait très simple d’avoir un impact par un effet purement environnemental, il suffirait de modifier l’intensité du courant. Un exemple concret concerne l’anorexie. Dans les populations occidentales, la présence de certains gènes semble être un assez bon prédicteur du risque d’anorexie. On pourrait donc dire que le déterminisme est « génétique», et d’aucun en concluraient que « donc, on ne peut rien y faire». Cependant, si on prend une autre explication souvent avancée, qui est l’exposition à des standards de beauté extrêmement maigres, on a une variance nulle : tout le monde est exposé à ces standards, partout dans les médias. Si la variance des facteurs environnementaux est nulle, c’est exactement comme pour l’intensité du courant : on ne pourra pas détecter l’effet de ce facteur. Si on élargissait l’étude à des populations qui n’y sont pas exposées, on verrait sans doute apparaitre une variance environnementale bien plus importante (et la part de variance « génétique» diminuerait). On verrait que l’exposition à ces standards de beauté est un facteur important dans le déclenchement de l’anorexie, indépendamment de l’effet lui aussi important de la présence de certains gènes.

Je détaille tout ça pour qu’on comprenne bien que ces histoires de déterminisme génétique ou biologique disent des choses très éloignées de ce qu’en comprennent la plupart des gens. En particulier, il y a cette perception ancrée selon laquelle le déterminisme génétique, c’est de toute manière « fatal », on ne pourrait y échapper. Alors que le déterminisme environnemental, ce serait malléable à souhait. Or, c’est juste bullshit. Il y a du déterminisme génétique très malléable, comme le diabète de type II que l’on peut soigner avec l’insuline, et du déterminisme culturel pas malléable du tout facilement, comme la violence éducative. Ainsi, ce n’est pas parce que le déterminisme génétique est non nul que les individus sont contraints. Inversement, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de déterminisme génétique que l’on peut facilement modifier quelque chose.

Donc, quel que soit le déterminisme génétique que l’on pourrait trouver à un trait, même 100% de déterminisme du point de vue de la génétique quantitative, ça ne dit rien sur la malléabilité de ce trait, et sur le fait qu’il serait facile ou non de shunter le déterminisme génétique identifié par un déterminisme environnemental (changement sociétal, éducation, etc.).

Deux choses à retenir du level 4 :

–       Quand on dit « c’est à X% génétique », ce n’est valable que pour l’échantillon étudié. Si on élargit l’échantillon, en particulier à une plus grande échelle géographique, on va augmenter la diversité génétique, mais aussi les variations culturelles, et donc le pourcentage va changer.

–       Le déterminisme génétique n’est pas forcément fatal, et le déterminisme culturel n’est pas forcément malléable.

Un petit point sur les aspects éthiques. On a bien sûr en tête qu’il serait beaucoup plus horrible de faire de l’ingénierie génétique pour ‘corriger un trait’ (comme… l’autisme ?) que de corriger ce trait par des outils « environnementaux» (médication, thérapie comportementale). Sans doute parce qu’on ne veut pas modifier la « nature profonde » des individus, et qu’on suppose que cette nature profonde est dans leurs gènes. Cependant, est-ce qu’on trouverait horrible l’ingénierie génétique qui consisterait à corriger la mutation impliquée dans la chorée de Huntington ? J’en doute. Moi je dirais que la nature profonde, c’est surtout « ce qui n’est pas malléable, ce pour quoi il n’y a pas de ‘levier’ qui permette de changer la personne d’une manière indolore et sans qu’elle ne ‘perde’ quoi que ce soit de ce qu’elle identifie comme étant lié à son identité dans le processus ». Par conséquent, ce qui m’inquiète avec l’ingénierie génétique, c’est davantage le fait que ces techniques, appliquées au moment d’une FIV par exemple, interviennent tellement tôt dans le processus que les personnes concernées n’auront pas eu le choix, et il en découle bien évidemment un risque d’eugénisme, c’est-à-dire l’élimination de certains types d’individus sur la base de jugements de valeur.

Level 5. Correlation is not causation.

Bon, beaucoup connaissent cette maxime (sinon, faire une pause et voir ), mais quand on en vient à la biologie, en particulier chez l’humain, beaucoup semblent l’oublier. Du coup, je vais donner quelques exemples qui, je l’espère, vont marquer les esprits, pour que tout le monde garde bien cela en tête.

On a parlé de la génétique quantitative, qui permet de découpler les effets génétiques des effets environnementaux. Le problème, c’est que cette discipline, si elle produit des résultats très intéressants dans le cadre de l’amélioration génétique de nos cultures et élevages, a une portée assez limitée chez l’humain. La différence essentielle étant que l’on peut effectuer des expérimentations sur les cultures et les élevages… mais pas chez l’humain. Le dispositif idéal, pour mesurer les variances génétique et environnementale, c’est un dispositif orthogonal. Par exemple, si on veut mesurer la part des « effets génétiques » sur la production laitière de plusieurs races de vaches, on va prendre plusieurs échantillons de chaque race, les positionner chacune dans plusieurs environnements (on « croise » chaque catégorie qu’on veut comparer à chaque environnement possible, de manière orthogonale), mesurer la production laitière de chaque race dans chaque environnement, et en déduire la part d’effets « environnementaux », et d’effets « génétiques ». Mais chez l’humain, on ne peut pas déplacer les individus dans des environnements autres que ceux dans lesquels ils sont nés pour des raisons expérimentales. Plus encore, chez l’humain, la situation est complexifiée par des ‘discriminations’ (sans connotation nécessairement négative): l’environnement que l’on va rencontrer dépend de nos caractéristiques initiales (par exemple, être beaucoup exposé à du rose ou du bleu dépend pas mal du fait de naitre avec une vulve ou un pénis) et par de multiples effets confondants (corrélation entre nos caractéristiques génétiques et le statut social du fait de l’histoire, corrélation entre les gènes de nos parents, donc l’environnement auxquels ils nous exposent, et nos propres gènes, etc.). Pour contourner ces complications, certains travaux se sont penchés en particulier sur les cas d’adoption. La limite de ces travaux est qu’ils ne permettent pas d’éliminer ni les effets prénataux (9 mois de grossesse) ni les discriminations (encore une fois, au sens très large, c’est-à-dire « traitement non indépendant des caractéristiques génétiques »).

Cette limite (l’impossibilité d’expérimenter et les discriminations) s’applique pour l’humain au-delà des travaux de génétique quantitative, à tous les travaux qui cherchent à étudier « le lien » entre un « groupe défini par des caractéristiques phénotypiques communes » (groupes de sexe male/ femelle, groupes ethniques, groupes d’orientation sexuelle, etc.) et autre chose (des gènes, des spécificités biologiques, des comportements, etc.). On n’a tout simplement pas accès aux plus hauts niveaux de preuves de causalité, quand on fait des recherches sur l’humain (à part pour les études cliniques où on expérimente pour tester l’efficacité d’un médicament ou d’une intervention).

Ok, quelques exemples, qui vont illustrer pourquoi, du coup, il faut vraiment se méfier pour ne pas confondre corrélation et causalité, dans les études de partition génétique chez l’humain.

Un exemple typique, c’est la capacité à se repérer dans l’espace. Lorsque l’on fait des tests chez les hommes et les femmes, on remarque que les hommes ont une meilleure capacité à s’orienter dans l’espace. Seulement, si 90% du temps, lorsqu’un couple hétéro voyage ensemble en voiture, c’est l’homme qui conduit, et que le fait de conduire beaucoup entraine la capacité à s’orienter dans l’espace, alors il y a de bonnes chances sur le fait que cette différence de capacité à s’orienter dans l’espace en dise beaucoup plus sur l’effet de la conduite dans la capacité à s’orienter dans l’espace que le fait d’avoir des chromosomes XX ou des chromosomes XY. Pourtant, techniquement, il y a bien « un effet du sexe » sur la capacité à s’orienter dans l’espace. Mais le sexe à des chances d’être ici une cause distale, c’est-à-dire que sexe -> conduit plus ou moins -> s’oriente plus ou moins bien dans l’espace. Or de tels potentiels intermédiaires causaux sont bien souvent totalement élicité dans les gros titres des médias, laissant chacun interpréter au plus simple, et le plus simple étant que la causalité est directe. Quand on fait ce genre de gros titre, on ne tient pas compte de ce biais cognitif qui consiste à aller au plus simple, et quoi qu’on en dise, on laisse entendre qu’il y a une différence en termes d’essence entre les hommes et les femmes, quand en fait… on n’en sait rien.

Autre exemple, l’homosexualité. Je termine ce billet aujourd’hui (alors qu’il est en chantier depuis des lustres) en partie parce que s’annonce une émission invitant un chercheur, Jacques Balthazar, qui parle de des déterminismes génétiques de l’homosexualité. Il a identifié des gènes dont les allèles (versions de gènes) sont corrélés à l’orientation sexuelle. Il reconnait qu’il ne s’agit que de corrélations, et qu’il ne faut pas extrapoler trop vite, mais d’autres ne prennent pas ces précautions, et disent que « l’homosexualité est génétique». Alors, en dehors du fait qu’un même phénomène peut avoir plusieurs causes (cf. exemple du diabète au level 3), j’aimerais donner un cas de figure, pour que chacun ait en tête les possibles limites de ces résultats. Imaginons que l’orientation sexuelle soit en fait socialement acquise. Lorsqu’on est une fille ou un garçon, on est exposé à des stimuli différents, on est poussé à aimer des choses différentes, etc., et ça à des conséquences sur ce qu’on « préfère», de la couleur rose ou bleu à l’orientation sexuelle. Et imaginons, maintenant, un allèle qui « shunte » la capacité à absorber les règles sociales ou à répondre aux stimuli auxquels on est exposés. Et bien on s’attend à ce que chez les personnes qui ont cet allèle, les orientations sexuelles soient beaucoup plus diversifiées (moins « canalisées» par les stimulis sociaux) que chez les personnes qui ont d’autres allèles, entrainant une corrélation entre la présence de ces allèles, et l’orientation sexuelle. Ça pourrait se tester, car chez ces personnes, on verra une absence de conformité à d’autres niveaux que l’orientation sexuelle (préférences de couleur, et tout ce qui est genré, par exemple). Ce n’est pas totalement absurde. On sait qu’il y a des gènes qui ont effectivement un effet sur le conformisme social, comme les gènes impliqués dans l’autisme. On sait que les personnes autistes ont des orientations sexuelles et des identifications de genre moins conformistes que les personnes non autistes, également. Voir par exemple cette étude de 2017. Alors je ne dis pas que c’est ça l’explication (et je sais que c’est plus complexe que cela, car les personnes autistes ont également des spécificités hormonales), mais je veux juste insister sur l’importance d’élargir les perspectives d’interprétation des données. Si mon hypothèse était juste, on serait dans le même cas de figure que pour la capacité à s’orienter dans l’espace chez les hommes et les femmes : le gène impliqué n’est plus qu’une cause assez distale de l’orientation sexuelle, et les facteurs « culturels» pourraient eux être finalement déterminants. Mais encore une fois, nos cerveaux ont tendance à aller au plus simple, et les gros titres eux-mêmes simplistes n’aident vraiment pas à prise de recul.

On pourrait sans doute décortiquer comme ça pas mal de corrélations ou d’associations qui ont été observées et qui sont publiées sans aucune analyse sur la diversité des causes qui peuvent entrainer les différences observées, et entretiennent de ce fait un certain essentialisme. Mais cet article est long, et j’ai encore plein d’autres choses à dire, alors ce sera pour un prochain article.

 

You win ! Conclusion

Voilà, si vous avez atteint le level 5, félicitations, vous avez sans aucun doute le gène de la persévérance ;). Bon, par contre, mauvaise nouvelle… tout ça, en fait, on s’en fiche pas mal. Tous ces efforts que vous avez faits pour comprendre ces questions de déterminisme, ça ne sert à rien.

Enfin, presque. Ça sert à comprendre que ça ne sert à rien, pour pouvoir passer à l’étape suivante. Ok, laissez-moi développer. D’un point de vue politique, quelles sont les implications de ces réflexions ? La politique, c’est (ou ça devrait être…) décider ce qui doit être fait, à une échelle sociale, pour améliorer la vie des gens. Si une chose est « bien », dans la vie des gens on ne voudra pas la changer, et si on chose est « nuisible » alors on voudra la changer. Mais si changer cette chose nuit encore plus que ne pas la changer, là, on préférera la laisser telle quelle. C’est un raisonnement utilitariste : on fait les choix en fonction de leur capacité à maximiser le bien-être général. Bien sûr, ce n’est pas toujours évident de déterminer les coûts et les bénéfices (et pour qui et quoi), mais on va faire comme si c’était simple pour l’instant.

Du coup, quel est le rapport avec les déterminismes ? Souvent, quand les gens disent « c’est inné » dans le cadre d’une argumentation politique, ils peuvent sous-entendre deux choses.

La première, c’est que c’est « naturel», car « c’est ce qu’on a trouvé là », et que ce qui est naturel ne doit pas être changé. Il y a un certain fétichisme, dans nos sociétés, pour laisser les choses telles qu’on les a trouvées, parce qu’elles seraient meilleures « par essence». C’est du conservatisme. Cela peut avoir du sens, bien sûr. Par exemple, moi je suis plutôt écolo, et je suis assez réticente à l’élimination massive des espèces qui nous entourent. J’aimerais qu’on préserve un minimum l’environnement pour le laisser à nos enfants tel qu’on l’a trouvé nous-même. Cependant, dans ce cas de figure, il n’y a pas de conflit avec la vision utilitariste : conserver les espèces est à la fois meilleur du point de vue de nos instincts conservateurs, et meilleur d’un point de vue utilitariste. Cependant, dans les cas où il y a conflit entre la vision utilitariste, et la vision conservatrice, mon opinion est que la vision utilitariste est préférable. C’est ma préférence, mais je crois que beaucoup d’autres gens ont la même, quand même. On doit changer les choses lorsqu’elles nuisent. Genre, le paludisme tue des gens, et le Plasmodium a beau être un joli parasite quand on le regarde à la loupe, je n’ai absolument aucun état d’âme à participer à l’effort collectif qui consiste à chercher à l’éliminer. Je pense que la nature « innée » ou « acquise » des choses ne devrait pas l’emporter sur leurs coûts ou leurs bénéfices, et je pense que c’est le cas de la majorité des gens (à part quelques conservateurs radicaux qui n’ont de cesse que de me laisser pantoise).

La deuxième chose qui peut être sous-entendue quand les gens disent « c’est inné» est plus en lien avec l’utilitarisme, et c’est « ça ne peut être changé, ou en tous cas, changer cela représente des coûts beaucoup plus élevés que de bénéfices ». Typiquement, pour l’homosexualité, quand des gens disent « de toutes manières c’est génétique», c’est ça que ça veut dire : « C’est dans la nature profonde de la personne, ça ne peut être changé, ou si on le change, ça va lui coûter beaucoup, psychologiquement, et en termes de bien-être. C’est bien plus simple de l’accepter telle qu’elle est, on sait déjà que les personnes qui vivent leur homosexualité en dehors des tabous traditionnels sont heureux et épanouis ». Sauf que. On l’a vu, je crois que c’est très clair, désormais : il n’y a pas de lien automatique entre inné, et non malléable. On pouvait peut être le penser dans un lointain passé, où on ne connaissait rien à la biologie organique et aux thérapies géniques. Et où on ne comprenait pas à quel point déterminisme génétique et déterminisme environnemental sont étroitement enchevêtrés, et que même le déterminisme génétique a priori le plus total, peut parfois être contrecarré par des leviers environnementaux assez simples. Donc je le répète « il n’y a pas de lien automatique entre inné, et non malléable» ni d’ailleurs entre génétique, et non malléable. Bref. Du coup, ça n’a absolument plus aucun sens d’utiliser le fait qu’un trait varie plutôt de manière corrélée aux variations génétiques ou plutôt de manière corrélée aux variations non génétiques, pour arguer que « ce n’est pas malléable de toutes manières, et le bénéfice serait plus important que le coût, pour les gens, si on voulait modifier cela ». On n’a pas besoin de faire des recherches élaborées sur les déterminismes de l’orientation sexuelle pour savoir que les thérapies comportementales ont un coût plus élevé pour les personnes homosexuelles que de tout simplement les accepter telles qu’elles sont. On n’a pas non plus besoin de savoir quoi que ce soit sur les déterminismes pour savoir que « au fait, l’homosexualité ne nuit à personne ». Ça devrait être le seul critère qu’on devrait regarder, pour savoir si la société à quelque chose à dire ou faire dessus. Car finalement, même si quelque chose est ultra malléable, comme la route qu’on préfère adopter pour aller au boulot le matin, la société a pas vraiment grand-chose à en dire si les différentes options de cette chose malléable ne nuisent pas plus les unes que les autres.

Du coup, j’ai une question. Pourquoi investir autant d’argent pour comprendre le déterminisme de choses qui ne sont pas nuisibles ? A la limite, par pure curiosité. De la même manière qu’on peut vouloir chercher à comprendre ce qu’il y avait avant le big bang. Je peux comprendre ça. Mais je pense que c’est vraiment une erreur, d’ensuite utiliser ces informations dans un cadre politique. C’est vrai que c’est plus simple, plus facile, car ça colle à la manière de penser des gens. J’admets que moi-même, j’ai déjà utilisé cet argument, et ça a marché à plusieurs reprises. Mais en fait, on ne combat pas le problème à la racine, qui est cette manière erronée de penser. Et il y a un coût assez élevé à cela. En effet, imaginons que vous ayez trouvé que l’homosexualité est « innée » et qu’elle n’est pas très malléable. C’est prouvé, ça permet à plein de gens de mieux l’accepter, et du coup tout le monde est plus heureux.

Mais maintenant, que fait-on des différences « innées» entre hommes et femmes ? Si on trouve que les femmes sont plus maternelles que les hommes, et que du coup la survie des enfants dépend étroitement de la présence maternelle. Est-ce que du coup, on va conclure « bon bah c’est comme ça, c’est inné donc ce n’est pas malléable tant pis» ? Ou bien, est-ce qu’on va quand même prendre en compte le fait que de nombreuses femmes se plaignent du fait que parce qu’elles sont obligées de s’arrêter de travailler, elles entrent dans une dépendance financière qui les fait perdre en autonomie, que lorsqu’elles sont femmes au foyer, elles craquent sous la charge de travail, et elles se sentent pour certaines moins épanouies et dévalorisées ? Est-ce que ce constat ne devrait pas suffire à chercher des solutions sociétales (maintenant qu’on sait qu’on ne sait pas à l’avance s’il y en a ou pas…), pour que la charge domestique ne repose pas exclusivement sur le dos des femmes, par exemple mettre en place des crèches, éduquer les garçons à être plus paternels quitte à compenser un déficit observé s’il en est, réduire le temps de travail rémunéré pour qu’il soit mieux partagé dans les couples et que chacun puisse s’investir à la fois dans son foyer, et donc permettre d’élever les enfants dans des bonnes conditions, et en dehors de son foyer, et donc rester financièrement autonome ? (Je précise que bien sûr, s’investir ou non dans la sphère professionnelle doit pouvoir rester un choix pour les pères et les mères qui le souhaiteraient, pour qui l’épanouissement passerait par là… à titre personnel, je trouve hasardeux de se reposer entièrement sur son partenaire, financièrement parlant, mais je place quand même le choix au-dessus du reste et mon combat, c’est qu’il faut en fait une société qui maximise la possibilité de choisir, c’est-à-dire de vivre en conformité avec ce qu’on pense avoir comme besoins).

Bref, c’est un gros pavé. Heureusement que j’ai fait des levels. Ça fait peut-être, pour certains, plusieurs jours que vous lisez, petit bout par petit bout. Alors il est temps de conclure. En un mot : chercher des solutions, c’est comme l’exploration spatiale. On ne sait pas à l’avance ce qu’on va trouver. Mais la principale motivation à la recherche de ces solutions, ça ne devrait pas être les chances qu’on a de les trouver. Ça devrait seulement être l’importance qu’elles ont pour maximiser le bien-être général.

Merci à tous ceux qui ont enrichi ces réflexions, notamment Dalila, Clément, Rafael, Sylvain, François, et tous ceux que j’oublie… parce que certains échanges ont commencé il y a vraiment longtemps et que je n’ai pas tout noté. Merci à vous.

 

Article originellement publié le 19 nov. 2017, republié le 10 mars 2018 suite à migration du site.

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Société

Société #2 Comment définir les sexes?

Dans mon précédent billet, j’avais montré que les sexes sont une construction sociale, c’est-à-dire a dire que ce que l’on met dans les catégories hommes et femmes résulte de nos préconceptions de ce que sont les hommes et les femmes, et notamment que certains des critères de définition sont retenus (l’attention aux autres) ou non (la taille) de manière tautologique, c’est-à-dire pour des raisons normatives, et aussi à cause d’une perception probablement plus binaire des critères retenus que ce qu’ils ne sont réellement. Et cela vaut même pour les critères les plus « biologiques », car lorsque l’on demande aléatoirement aux gens ce qui défini vraiment le sexe, certains répondront le caryotype, et d’autres répondront les organes génitaux, et dans ce contexte des personnes dont les deux ne matchent pas seront vues comme des « anomalies», ce qui nous fait bien retomber sur la dimension normative du problème. Bref, il n’y a pas de critère qui fasse consensus dans la sphère publique, et pour lequel il n’y aurait aucun ‘cas particulier’ qui nous permettrait de percevoir ce critère comme ‘totalement satisfaisant’.

Pour enfoncer un peu le clou, vous connaissez peut être un peu la phylogénie, qui consiste à classer le vivant sur la base des parentés génétiques (les espèces plus proches génétiquement forment des clades). Avant, on retraçait les liens de parenté sur la base des caractères morphologiques, et ça avait tendance à donner beaucoup de poids à ce qu’on voyait le plus / évaluait subjectivement comme étant important. Lorsqu’on a pu génotyper les êtres vivants à grande échelle, ça a révolutionné la classification du vivant, car on s’est mis à effectuer la classification en utilisant directement les similarités et différences génétiques, et au final, on s’est rendu compte que ce qui pouvait sembler important à première vue pouvait conduire à des regroupements pas toujours efficaces.

Pour le sexe, c’est près d’un tiers du génome qui serait impliqué à divers niveaux dans le déterminisme du sexe. C’est pour dire à quel point c’est multidimensionnel. Et pourtant, on utilise qu’une seule caractéristique pour déterminer si une personne est un garçon ou une fille, à la naissance et pour l’état civil : la présence d’un pénis ou d’un vagin.

Certains écarts à la norme statistique sautent peut être moins aux yeux que d’autres. Si on part de XX/XY comme référentiel alors il y a des exceptions : gonadiques, génitales, hormonales –et il y a beaucoup d’hormones donc une dimension par hormone, neuronales -si le genre à une composante génétique, cellulaires (il y a des indices d’un fonctionnement cellulaire en moyenne un peu différent entre les sexes) et encore d’autres dimensions. Du coup ça a quelque chose d’arbitraire de dire « telle personne rentre mal dans les catégories de sexe par qu’iel à un micropénis » mais pas « telle personne rentre mal dans les catégories de sexe par qu’iel à un microrécépteur (cellulaire) ». On base l’état civil sur des trucs qu’on voit, ça a du sens, mais c’est juste bien de réaliser que c’est pas parce qu’on le voit que c’est plus important que des trucs qu’on voit pas, et qu’en fait, pourquoi pas utiliser d’autres critères, si ce n’est… parce ce que c’est parce qu’on a toujours fait ainsi, et que c’est un proxi accessible pour connaitre les caractéristiques de la personne dans les autres dimensions ?

Or, ça mérite d’y réfléchir au moins une fois. D’un point de vue scientifique, si on se demande quels critères précisément devraient être retenus pour définir les catégories, sur quoi faudrait-il s’arrêter? Certains répondent déjà qu’il faut des critères pour lesquels les exceptions sont rares, mais on a déjà vu dans le précédent billet que cela pose ensuite la question de la limite à fixer pour le ‘rare’, qui est subjective et nous fais souvent retomber dans la dimension normative. D’autres répondent que les catégories homme et femme, ce sont les produits de la sélection naturelle, et donc c’est ce qui justifie ces deux catégories, et les contours qu’on doit leur fixer. Quitte à grossir un peu le trait comme le fait Éric Vilain dans le journal du CNRS :

« Les états intermédiaires des différents sexes biologiques sont […] souvent associés à une infertilité, ce qui, d’un point de vue évolutif, les condamne à une impasse, argumente le chercheur. Mettre sur le même plan les deux sexes biologiques largement majoritaires, et les sexes intermédiaires très faibles numériquement, n’est pas raisonnable. » 1.

Souvent comment ? Si on compte toutes les personnes trans en plus des personnes intersexes (et je ne compte pas les personnes cis qui s’écartent de la norme statistique dans des dimensions moins visibles), je pense que le nombre de personnes qui ne se retrouvent pas dans les catégories de sexe attribuées à la naissance ET sont quand même fertiles sont quand même assez nombreuses. Oui, ‘assez nombreuses’, c’est vague et subjectif. Comme ‘souvent infertiles’. De plus d’après ce critère, si les hommes plus attentifs à leur progéniture ont une meilleure valeur sélective (leurs enfants survivent mieux), alors ça en fait d’avantage des hommes ? Remarque, ça m’arrangerait assez. Mais bon, le problème, c’est que bien malin celui qui saura prédire ce que sélectionne actuellement (et sélectionnera) la sélection naturelle. L’effet de la sélection naturelle n’est pas unidirectionnelle dans le temps et l’espace, et en particulier, ce n’est pas parce qu’un phénotype est rare, qu’il n’est pas sélectionné. C’est un petit peu plus compliqué que ça, car tout phénotype est rare, avant d’avoir été sélectionné. Les hyènes ont un phallus, c’est bien la preuve que du point de vue de la sélection naturelle… ce n’est pas le vagin qui fait la femelle. C’est d’autant plus complexe dans un contexte de changement environnemental, et nous sommes justement dans un tel contexte. L’idéal d’après la sélection naturelle n’est connu que de la sélection naturelle2.

Bon. Quel critère, donc ? Et bien, je dirai que cela dépends des objectifs du travail scientifique que l’on effectue, et comme n’importe quelle variable que l’on étudie, de la manière dont on veut utiliser les résultats par la suite. Déjà, j’ai totalement occulté la catégorisation biologique du sexe que moi, j’ai apprise a l’université, en filière « biologie des organismes ». Mais qui est peu connue du commun des mortels. D’après cette définition, chez une espèce sexuée, la femelle est l’individu qui produit les gros gamètes (chez l’humain, l’ovule), et le mâle celui qui produit les petits gamètes (chez l’humain, les spermatozoïdes). Cette définition a l’avantage d’être applicable à l’ensemble des espèces sexuées, des plantes à fleur aux gallinacées, c’est-à-dire les poules (même si ces espèces ne font pas l’algèbre et n’ont ni chromosomes X ni chromosome Y). Cette ligne de scission là est assez intéressante en biologie des organismes, parce qu’elle forme une sorte de repère autour duquel on peut étudier l’évolution de l’investissement parental. Cependant, il serait utile de se demander si cette définition serait la meilleure à adopter, par exemple en médecine, où l’on voit poindre depuis peu un appel a effectuer une médecine « sexuée », c’est-a-dire qui prenne en compte les différences entre « sexes ». On s’en doute, on ne parle pas ici de la différence entre ceux qui produisent des petits ou des gros gamètes. Même s’il y a des chances que ce soit un peu corrélé. L’idée ici est plutôt que le risque d’avoir une maladie, pour une personne, pourrait dépendre de ses organes, ses hormones, sa physiologie, etc. Or… question, quel est le critère de définition du sexe qui permettra le mieux de prendre en compte ces effets? Par exemple, une femme qui souffre d’hyperplasie congénitale (une condition virilisante) a t’elle une physiologie plus proche de celle des individus qui comme elle sont XX, ou plus proche des individus XY? J’ai envie de dire : pour certaines maladies, c’est les productions hormonales qui moduleront les risques. Mais pour d’autres, c’est uniquement le comportement en société qui sera important (parce que modulant l’exposition aux facteurs de risque). Pour d’autres encore, ce sera une combinaison de facteurs physiologiques et de facteurs d’exposition, qu’il faudra prendre en compte pour mesurer le risque d’un individu. Ainsi, des travaux en médecine qui se limiteraient, par exemple, a l’état civil pour classifier les individus étudiés comme homme ou femme pourraient bien passer a côté des variables réellement intéressantes. Le sexe n’est en fait qu’un proxi (un indicateur indirect), et mener des études en éclatant la variable sexe en variables organes génitaux, taux hormonaux, identification de genre, etc., serait au final beaucoup plus informatif, et permettrait d’utiliser les résultats de manière beaucoup plus directe et précise, même pour les personnes qui ne rentrent pas très bien dans les catégories mal définies d’ « homme » et « femme ».

Alors certes, ça implique beaucoup plus d’efforts, surtout que ces variables sont fortement corrélées (il va falloir stratifier… donc augmenter les tailles d’échantillon… donc augmenter les budgets). Mais c’est un peu comme quand on s’est rendu compte que l’on ne pouvait pas se contenter d’utiliser les mâles comme modèles d’étude (ce que l’on faisait parce que le mâle, c’était l’humain par défaut, n’est ce pas). En faisant cela, on perdait énormément en informations. On définissait une symptomatologie non applicable aux femmes (infarctus) et on a mis du temps à réaliser que les doses efficaces des médicaments étaient différentes, également. En parlant de l’importance de faire une médecine différenciée ‘par sexe’, sans même préciser quelles catégories de sexe on parle, comme si cela allait de soit, on considère en fait que les hommes et les femmes sont les deux types d’humains par défaut, et que ce qui en sort est anormal. Le risque que je vois poindre, moi qui enseigne les statistiques en formation continue en santé publique, c’est que les personnes qui ne rentrent pas dans ces boites normatives seront carrément exclues des études… pour ne pas « compliquer les choses» ou « brouiller le signal » ! On est en train de reproduire exactement la même erreur, à une nouvelle échelle : on perd en informations, et des personnes seront lésées. Et ces personnes ne sont pas seulement les personnes trans et intersexuées. Il y a pléthore de femmes et d’hommes qui s’éloignent de la moyenne des individus qui ont le même caryotype qu’eux, pour se rapprocher de la moyenne de ceux qui ont « l’autre » caryotype (et pour ceux-là, une médecine indifférenciée est en l’état actuel des choses plus bénéfique).

Au final, de la même manière que l’astronomie n’a plus besoin du concept de planète, il est bien possible que la médecine n’ait plus besoin du concept de « sexe ». Et qu’à la place, elle ait besoin de se demander un peu plus… quelles sont les variables ou proxi sensibles et spécifiques qui sauveront le plus efficacement (et équitablement) des vies3.

Remerciements

Merci à  Clément, Thomas Del, Sylvain, Nathanaël, Camille et tous les autres, pour les échanges et discussions, les opportunités crées pour les échanges et discussion, et leurs encouragements. Et même merci à Peggy Sastre, qui bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité, est celle dont les articles ont initié ces réflexions chez moi (Y a des gens qui sont pas cités ici mais le seront dans le prochain billet 😉 ).

Notes

1. On notera que le « n’est pas raisonnable » est un appel au bon sens, qui est un argument fallacieux.
2. Oui, en vrai, il y a des méthode pour savoir, je sais, mais ceux qui le savent, savent aussi que si on veut mesurer ça pour définir les sexes, ça va être coton.
3. J’ai conscience que dans une situation d’urgence, le proxi apparence physique est plus facile à mesurer que le proxi niveau de testostérone. Cependant, hors situations d’urgence, ça mérite vraiment réflexion. On n’est pas obligé d’exclure la variable agrégée qu’est le sexe des analyses, mais dans ce cas, il faut vraiment explicitement en définir les contours, notamment les critères d’inclusion et d’exclusion, et pour des raisons évidentes d’équitabilité face aux soins il faut que les catégories définies soient exhaustives c’est à dire que tout individu soit dans l’une des catégories définies.

Article originellement publié le 11 nov. 2017, republié le 10 mars 2018 suite à migration du site.

Société

Société #1 Le sexe comme construction sociale

J’ai créé ce blog d’abord pour stocker et partager facilement des ‘explications’ de trucs que je donne souvent. Il manquait une section un peu plus politique, qui fasse le lien entre l’éclairage entre ce que dit la science, et ce que la société doit en faire. J’ouvre cette section aujourd’hui avec ce texte sur la déconstruction du concept qu’est le sexe.

Ceci en écho à l’article de l’Epervier définissant la construction sociale, et qui mérite d’être lu : https://blogepervier.wordpress.com/2017/11/06/je-suis-presque-trentenaire-et-je-suis-blanc/

Le sexe comme construction sociale

Chez l’humain, on définit deux groupes, hommes et femmes. On considère généralement ces deux catégories comme allant de soi, on sait qui sont les ‘hommes’, qui sont les ‘femmes’. Mais quels sont les critères qui définissent ces catégories? Lorsqu’on pose la question, certains répondent « les chromosomes, les femmes sont XX et les hommes sont XY », quand d’autres répondent « les organes reproducteurs, les hommes ont un pénis et les femmes, une vulve » (bon, en vrai, les gens ne connaissent pas le nom de l’équivalent du pénis chez la femelle humaine, ils diront vagin ou utérus, qui sont des organes encore différents… mais… bref). Si on disait « mais encore » On pourrait continuer encore longtemps, sur les critères qui définissent ces catégories dans l’imaginaire collectif, et on verrait passer tous les stéréotypes, selon les uns ou les autres: les femmes ont deux chromosomes X, une vulve, un vagin, des ovaires, sont attirées par les hommes, sont douces, sont empathiques, aiment la mode, aiment s’occuper des autres, etc. Je n’irai pas jusqu’à dire aiment le rose et ont les cheveux longs. Quoi que… chacun de ces critères ont en commun d’être utilisés par des individus divers et variés pour rejeter la qualification de « vraie femme » en parlant d’une personne qui ne vérifierait pas l’un d’eux. Il y a bien évidemment des critères également pour le groupe « homme » : les hommes sont XY, ont un pénis, des poils, sont attirés par les femmes, sont forts, sont désorganisés, sont pas doués pour s’occuper des autres, ne se préoccupent pas de leur apparence, ont les cheveux court, aiment le bleu, etc. Là encore, qu’un seul de ces critères ne soit pas respecté et d’aucun diront qu’untel « n’est pas un vrai homme ». Il n’y a donc pas un seul critère unique et arrêté, pour définir les deux groupes. Certains se limiteront à des critères « physiologiques » (le caryotype, les organes sexuels), d’autres élargiront aux autres critères cités. D’autres encore rejetterons le caryotype et les organes pour ne retenir d’autres caractéristiques, ou que le fait de s’identifier comme homme ou femme, qui définit ce qu’on appelle aussi le genre.

Que faire, donc, des exceptions aux critères? Créer un autre groupe? De nombreux autres groupes? Faisons un peu le tour de ces dernières, déjà. Le caryotype semble être, du point de vue de la biologie, ce qui va « déterminer » le reste, au moins en partie (je publierai un autre article sur les déterminismes, lisez celui ci comme un simple exploration conceptuelle).  Il y a des personnes de caryotype X0, YXX, YXXX, etc. Mais ces personnes sont considérées comme mâles en présence d’un Y, femelle en son absence. C’est beaucoup plus intéressant de regarder les cas de figure où il y a des mutations ponctuelles qui rompent la cascade des déterminismes (quels qu’ils soient). Si c’est très en amont dans la cascade, comme une mutation du récepteur de la testostérone, ça donne par exemple une personne XY avec un phénotype « femme ». Cette mutation est plutôt rare. Mais il y a plein d’autres « mutations », à tous les niveaux de la cascade. Quelles sont les conséquences de ces dernières? Probablement tout un tas de petites variations qui font s’écarter les individus de ce qu’on peut se représenter comme un homme typique, ou une femme typique. Par exemple, un homme typique est plus grand qu’une femme typique. Mais des variations génétiques font que certains hommes sont quand même plus petits que certaines femmes. En fait, on peut imaginer que pour ce qui est « en bas » de la cascade, on va se retrouver avec des fréquences énormes de certains variants génétiques et phénotypiques, ce qui conduit à un recouvrement très important des distributions mâles/femelles pour certains traits, même si « en moyenne » on voit qu’il y a des différences (ces moyennes pourraient servir à définir ce qu’on appelle homme et femme typiques, si on veut)(Cf cet autre article du blogpour comprendre ce qu’on entend par recouvrement et différences moyennes).

Typiquement on peut imaginer que (je prends des chiffres au pif, pour l’exemple) « les petites filles sont naturellement plus attirées par les bébés ». En moyenne. Ça pourrait être un des traits déterminés par la cascade. Mais avec une mutation qui se retrouve à une fréquence telle qu’en fait si on regarde, quand on prends une petite XX et un petit XY au hasard, on n’a que 51% de chances que la petite XX soit plus attirée par les bébés que le petit XY. En cela, on a tous des ‘anomalies’ sur au moins un trait qui est à déterminisme sexuel. Les personnes XX sont plus petites que les XY. Pour autant, considère t’on qu’être grande (au féminin pour grande personne) quand on est XX est une anomalie? Qu’être petite quand on est XY est une anomalie? Non, on considère que ça fait juste partie des variations possibles entre les individus (surtout qu’en plus si on regarde à l’échelle mondiale, on se rend compte que la variable sexe joue peut être moins que la variable origine géographique), et du coup on écarte même la taille comme une caractéristique sexuelle : si je demande si la taille défini le sexe on va me répondre non, alors que si je demande si les parties génitales définissent le sexe, on va me répondre oui, la plupart du temps.

Ce qu’il est intéressant de noter au final, c’est que tout ça, c’est un truc continu. Il n’y a pas de frontière nette entre ce qui est « une caractéristique sexuelle », et ce qui ne l’est pas. On considère arbitrairement que telle caractéristique n’est plus un critère de définition du sexe quand la superposition des distributions devient trop évidente. Et c’est totalement arbitraire également de dire que pour ce qu’on a retenu comme étant une caractéristique liée au sexe — parce que la superposition des distributions était suffisamment faible à notre appréciation totalement subjective (comme les organes génitaux), et bien ce qui sort de la règle établie (XX=vagin, XY= pénis par exemple) est une anomalie. Ce n’est une anomalie que parce qu’on a fixé arbitrairement un seuil de rareté quelque part selon lequel « c’est assez rare donc c’est une anomalie / c’est pas si rare donc c’est une variation normale ».

distribs
                                        Distributions avec plus ou moins de recouvrement

Ainsi, est-ce que 2% de parties génitales ambiguës, c’est assez faible pour être une anomalie? Ou bien est ce 10%? Quel est le % à partir duquel on pourrait dire que ce n’est plus une anomalie, mais une simple variation parmi d’autres? Par exemple, la pilosité faciale chez les femmes, on dira que c’est une anomalie. Mais si on regarde les données, ça va jusqu’à 20% de femmes qui doivent se raser les poils du menton. Est ce encore une anomalie, ou est ce que c’est notre perception sociale du fait que les femmes ne doivent pas avoir des poils au menton, qui fait que cette caractéristique est perçue comme une anomalie? Ou encore, est-ce que ce n’est pas notre construction sociale de ce que sont les sexes (de « ce qu’ils doivent être »), qui nous fait percevoir telle chose comme une anomalie, et telle autre comme une simple variation? Lorsque j’étais en thèse, quelqu’un disait que les filles ne sont pas faites pour les maths. Face à mon indignation et celle d’une amie, la réplique à cinglé « oui mais vous ce n’est pas pareil, vous n’êtes pas des vraies filles». Il y avait donc toute une dimension tautologique, finalement : les filles n’aiment pas les maths, et les filles qui aiment les maths ne sont en fait pas des filles.

On commence à percevoir le lien entre l’analyse des concepts, et la politique. Ce qu’on remarque, c’est que la science établi des concepts, mais qu’insidieusement, ces définitions, qui ne devraient être que descriptives, prennent une dimension normative. Là, où c’est intéressant, c’est lorsqu’on se rend compte que certaines des différences moyennes entre les sexes ne sont pas intégrées dans les critères de définition de ce que sont sensés être les sexes, et par conséquent, qu’elles ne prennent pas cette dimension normative. On a parlé de la taille, qui n’est pas considérée comme un critère de définition des sexes, contrairement à un certain nombre d’autres traits qu’on a listés. Qu’est ce qui fait que la taille n’est pas intégrée comme critère de définition du sexe? Probablement, le fait qu’à la fois, ce trait saute aux yeux, quand on voit une personne, on connait tout de suite sa taille, associé au fait que les variations de taille sont assez importantes pour que le fait que ce critère n’est pas corrélé de manière binaire aux sexes saute lui aussi aux yeux. Il n’est pas possible de glisser subrepticement d’un lien descriptif à un lien normatif entre la taille et le sexe (les femmes sont plus petites que les hommes -> les femmes doivent être plus petites que les hommes), parce que l’évidence nous rappelle tous les jours que ce normatif n’a pas lieu d’être.

Par ailleurs, le glissement du descriptif au normatif, chez les matérialistes, se fait souvent par l’identification de ce que sélectionne(-rait) la sélection naturelle. La taille est peut être l’objet d’une sélection naturelle différente selon les sexes, mais c’est un trait qui est sous un tas d’autres pressions de sélection, qui d’ailleurs ne sont pas homogènes géographiquement (les sahéliens sont longs et effilés, et les habitants de forêt sont plus trapus), et on constate aussi assez bien que c’est un trait qui est fortement influencé par des déterminismes non génétiques, comme l’alimentation. Il paraitrait absurde, de ce fait, de ne chercher à expliquer la taille des gens que par une sélection sexuelle différente chez « les hommes » et « les femmes », et donc d’utiliser la sélection naturelle comme argument pour dire qu’il est « normal » (et donc, implicitement, fatal… voir… souhaitable) que les hommes soient plus grands que les femmes. Pour d’autres traits, mais comportementaux, comme typiquement, le ‘care’ (se préoccuper et s’occuper d’autrui), quand on y réfléchi, il y a pas mal de chances que ce soit un peu comme la taille. Que ça varie géographiquement, et qu’il y ait plein de déterminismes environnementaux. Qu’il y ait vraiment beaucoup d’hommes plus doués pour le care que vraiment beaucoup de femmes. Que d’ailleurs, même des personnes pas très douées pour le care a priori, puissent s’occuper très bien d’autrui, de la même manière qu’il y a des gens petits qui jouent très bien au basket. Mais comme le care ça « se voit pas » aussi facilement que la taille, comme ça se mesure pas, et  comme on a des préconceptions liées aux mythes traditionnels conservateurs (rôles sociaux attribués de manière binaire), et bien on considère volontiers le care comme une caractéristique « féminine ». Une caractéristique qui définit le féminin, et pour laquelle un écart à l’attendu ne serait pas… « fit ». Pas adapté. Pas souhaitable donc. Il y a des gens (en évopsy) qui font des modèles explicatifs de la tendance des femmes à s’occuper d’autrui en focalisant uniquement sur la variation entre sexes, et en y cherchant des explications évolutives enracinées dans les rôles supposés de nos ancêtres mâles et femelles dans les soins aux jeunes. Sans même se demander si ces optimums supposés ont pu être totalement différents d’un bout à l’autre de la planète, selon les structures sociales et les contraintes environnementales, par exemple1. Ou si, vu que nous sommes désormais des populations mélangées, et que notre environnement à changé, nos comportements actuels reflètent en quoi que ce soit l’optimum qui était sélectionné chez nos ancêtres, ou un quelconque optimum actuel. Pourquoi ne pas imaginer que la même chose puisse se produire avec toute caractéristique stéréotypiquement associée à un sexe ou à un autre ? Ces questions resteront ouvertes, car le but n’est pas tant d’y répondre que de montrer en quoi la manière dont on se représente les sexe vont amener à se poser certaines questions, et pas d’autres.

Car ce qui est intéressant, une fois qu’on a compris ce concept de construction sociale, c’est vraiment d’effectuer cette « déconstruction» qui consiste à s’interroger sur la manière dont dont on défini les choses, bien qu’elle puisse paraître a priori évidente, est enracinée dans une histoire et des conceptions traditionnelles, ce qui oriente nos façons de penser le monde, de le questionner, de penser le normal et l’anormal, de penser, par conséquent, les problèmes, et surtout, évidemment, de penser les solutions. Car une fois qu’on a déconstruit le sexe, par exemple, on ne pense plus ce qui sort de la définition typique qu’on fait des hommes et des femmes comme des anomalies… et on peut enfin commencer à respecter tous les individus, qui, de fait, représentent juste la diversité à partir de laquelle l’humain du futur pourra évoluer.

Notes
1. On m’a fait remarquer que je fais une généralisation abusive, car l’évopsy fait justement un effort de chercher des patterns qu’on retrouve de manière universelle à l’échelle de la planète. Ce que je cherche à montrer ici, c’est surtout que la manière dont on catégorise (discrétise, si on veut) certains traits qu’on étudie fait perdre une énorme quantité d’information, surtout en termes de variance, et peut donner une impression trompeuse qu’un pattern est plus tranché qu’il ne l’est réellement. Typiquement, on pourrait chercher à voir dans plein de pays différents si les femmes (définies par l’état civil) on une meilleure habilité au care que les hommes (je passe sur toute les interprétations qu’on pourrait faire de cette « prédictions »), et trouver que c’est le cas dans chaque pays, ce qui fait que si on fait une revue de littérature, on aura un pattern avec zéro exception, qui semblera magnifiquement confirmer l’attendu. Sauf que, si on avait mesuré un trait continu (avec par exemple un proxi comme le taux comme les taux d’ocytocine, mais même là, ce ne serait pas totalement satisfaisant car ce n’est qu’un proxi), et qu’à la place d’une revue de littérature on aggrégeait les données pour faire une analyse de variance, peut être qu’on trouverait que l’effet du sexe (ie la part de variance attribuable au sexe) est bien inférieure à ce qu’on aurait cru. En gros, la tête des données dont on dispose pour l’habileté au care, du simple fait de la nature de cette variable, n’a rien à voir avec les données dont on dispose pour par exemple, la taille, ce qui rend difficile de relativiser les résultats au vu de la variance liée à d’autres variables. Et là, du coup, ça relativiserait énormément le résultat. J’ai pu trouver un exemple où justement, l’evopsy est tombé dans ce piège, considérer qu’un pattern supporte fortement son hypothèse adaptative, alors qu’une méta-analyse permet de constater qu’en réalité, la variance inter-société est assez élevée, ce qui conduit à relativiser le résultat (là c’est pour les ‘mate preferences’) : The origins of sex differences in human behavior: Evolved dispositions versus social roles (y avait pas grand chose sur le care, mais j’ai peut être pas cherché avec les bons mots clef, je suis preneuse s’il y a des méta-analyses de ce type sur le sujet).

Article originellement publié le 6 nov. 2017, republié le 10 mars 2018 suite à migration du site.